Ryanair met fin à Prime

une leçon coûteuse

Ryanair met fin à Prime

Ryanair met fin à son abonnement Prime après huit mois. 55 000 clients, 4,4 millions d’euros de cotisations, plus de 6 millions d’euros de réductions : en résumé, Prime s’est révélé être un cadeau déficitaire offert aux clients les plus fréquents. Pour le grand public, l’histoire est simple : Ryanair a tenté de copier Amazon Prime et s’est pris les pieds dans le tapis. Mais si l’on regarde de plus près, c’est surtout un cas d’étude intéressant. Que se passe-t-il lorsqu’une compagnie purement low cost expérimente soudain une formule d’abonnement ? Et qu’est-ce que cela révèle sur la façon dont, en tant que secteur, nous positionnons et vendons le voyage ?

Ryanair s’est développée avec un modèle d’une clarté extrême : un prix de base ultra-bas et chaque élément supplémentaire comme option payante. Choix du siège, bagage, assurance, embarquement prioritaire – tout est une ligne de revenus distincte. Prime renversait ce mécanisme. Pour 79 euros par an, les membres bénéficiaient de la réservation gratuite d’un siège sur certaines lignes, d’une assurance voyage incluse et de promotions mensuelles réservées. Ryanair regroupait précisément les sources de revenus sur lesquelles elle gagne habituellement le plus, dans un forfait finalement trop bon marché. Le petit groupe de clients qui s’y est inscrit en a tiré un avantage maximal. La grande majorité – extrêmement sensible au prix, fidèle au tarif mais non à la marque – a totalement ignoré Prime. Résultat : faible adoption, coûts élevés par membre et cannibalisation des revenus accessoires sur les passagers les plus rentables. À cela se sont ajoutées des contraintes opérationnelles : complexité informatique, ventes de sièges séparées, pression accrue sur le service client. Pour une compagnie qui vit de simplicité, Prime n’a pas été un renfort mais une perturbation d’un système optimisé.

Il est tentant de conclure que les abonnements ne fonctionnent tout simplement pas dans l’aérien. Mais le marché montre autre chose. Volotea a développé ces dernières années Megavolotea, une formule centrée sur des réductions permanentes, de la flexibilité et des avantages sur les sièges et les bagages. Pas de générosité qui sabote le modèle économique, mais une réduction de marge maîtrisée. Le résultat est solide : des centaines de milliers de membres, des Net Promoter Scores élevés, beaucoup de clients récurrents. EasyJet Plus vise, lui, le confort et la constance. On n’y achète pas un billet moins cher, mais un confort structurel : grand bagage cabine, choix du siège, fast track, embarquement prioritaire, modifications flexibles le jour même. Le prix plus élevé attire uniquement les voyageurs fréquents, qui en tirent une réelle valeur et n’en abusent pas. Wizz Air, de son côté, expérimente largement et de façon agressive : clubs de réduction, abonnements mensuels, voire pass “All You Can Fly”. Ce mélange crée des revenus prévisibles et remplit les sièges vides, mais toujours dans un cadre de restrictions qui en assurent la viabilité économique.

Pourquoi cela fonctionne-t-il ailleurs ? Pour trois raisons. Premièrement : ces compagnies ne donnent pas tout le magasin. Elles grignotent la marge sans neutraliser des flux de revenus entiers. Deuxièmement : elles ne se hors-prixent pas. Un abonnement de 50 à 300 euros crée de lui-même une sélection naturelle. Troisièmement : elles conçoivent un abonnement cohérent avec leur public et leur marque. Volotea s’adresse à des voyageurs régionaux réguliers ; easyJet à des voyageurs fréquents en quête de confort ; Wizz à une clientèle numérique et flexible. Ryanair, elle, a tenté d’imposer un système de club à un public de chasseurs de prix tout en offrant des avantages qui touchaient directement au cœur de son modèle économique. C’est un désalignement, pas la preuve que le principe est voué à l’échec.

Une autre question se pose : pourquoi Ryanair n’a-t-elle pas simplement augmenté le prix ? En théorie, c’est possible. En pratique, c’est une impasse. Si l’on augmente fortement le tarif, les gros utilisateurs se retirent. Si l’on étend les avantages, cela contredit la mentalité “no-nonsense” de Ryanair et sape à nouveau les revenus accessoires. Si l’on allège le forfait, il perd toute valeur distinctive. On se retrouve dans un no man’s land : trop cher pour le chasseur de prix, trop basique pour l’amateur de confort, trop complexe pour la marque. Dans cette logique, il est rationnel que Ryanair ait décidé après huit mois : cela ne correspond pas à ce que nous sommes.

Les abonnements s’infiltrent dans l’aérien, l’hôtellerie, la mobilité et les OTA. Ils transforment la manière dont les clients réservent et dont nous interprétons la fidélité. Mais ils créent aussi un risque de faux avantage. Les modèles “Unlimited” ou “All You Can Fly” paraissent spectaculaires, mais regorgent de conditions : disponibilité limitée, suppléments sur les indispensables, règles strictes en cas de no-show. Pour une petite minorité, c’est fantastique. Pour beaucoup, c’est source de déception. Les programmes de fidélité classiques jouaient sur le statut et l’émotion. Les abonnements payants sont plus fonctionnels : vous payez X et recevez Y, immédiatement. La fidélité devient une feuille de calcul, plus une relation.

Le cœur de l’épisode Prime n’est donc pas que Ryanair se soit trompée, mais qu’un acteur low cost rationnel ait osé l’expérimentation – et s’en soit retiré tout aussi rationnellement lorsque cela ne collait ni à sa marque, ni à son client, ni à sa réalité financière. Pour le reste du secteur, c’est une leçon importante. Un abonnement n’est pas un gadget marketing, mais un choix stratégique. On ne peut pas s’abonner à un autre ADN. Et les consommateurs sont toujours plus rapides à maximiser la valeur que la business case qui les sous-estime. Prime a disparu. L’idée, elle, continue de voler.

03-12-25 - par Pieter Weymans