La Cappadoce et les Belges

l’appel de Yasir

La Cappadoce et les Belges

Lors d’un récent congrès TUI à Antalya, nous avons fait une excursion en Cappadoce. Quiconque y est déjà allé comprend immédiatement pourquoi cette région continue de fasciner le monde entier. Un paysage unique, des villes souterraines, des vallées, des levers de soleil remplis de montgolfières. Une force esthétique, culturelle et émotionnelle indéniable.
Et pourtant, une remarque de notre guide local, Yasir, m’a frappé. Aujourd’hui, il voit à peine encore des groupes belges. « Avant, oui, disait-il. Surtout des circuits. Mais ces dernières années, presque plus. »

Cette remarque touche en réalité à une réalité plus large dans notre secteur. Pas seulement à propos de la Cappadoce, mais sur la manière dont nous organisons et vendons les voyages aujourd’hui.

Car ceux qui ont un peu d’expérience dans le secteur savent que c’était différent autrefois. Dans les années quatre-vingt et nonante, plusieurs tour-opérateurs belges, souvent de plus petite taille, proposaient la Turquie de manière structurelle dans leur offre. Les circuits en faisaient naturellement partie. Pas comme un produit de niche, mais comme un produit central.
Le scénario classique était bien connu : d’abord découvrir, ensuite se détendre. Un circuit en Turquie — Istanbul, la Cappadoce, Éphèse, Pamukkale — et seulement à la fin quelques jours de plage sur la côte. La plage était le point final, pas le point de départ.

Aujourd’hui, ce modèle est presque entièrement inversé. La plage est devenue le produit. Le circuit, s’il existe encore, est un complément optionnel ou une offre de niche en marge du programme.

La conclusion rapide serait de dire que le Belge n’a plus envie de voyager en circuit. Qu’il choisit le confort, la simplicité et le all-inclusive. Mais cette lecture n’est que partiellement correcte.

Si l’on regarde à l’international, on constate que la Cappadoce est plus populaire que jamais. La région attire des visiteurs de plus de 150 pays. Japonais, Brésiliens, Coréens, Américains. Des marchés où la culture, le long-courrier et l’expérience sont centraux. Cela montre à lui seul que son attrait n’a pas disparu.

Chez les jeunes voyageurs aussi, la Cappadoce est très présente. C’est l’une des destinations les plus partagées sur les réseaux sociaux. Les vols en montgolfière sont devenus une icône visuelle mondiale. Pour une génération qui voyage à partir de l’inspiration et de l’image, la Cappadoce est presque un décor de rêve. Mais ce succès se joue en grande partie en dehors du canal de masse belge traditionnel.

Et c’est là que se situe le cœur du problème.

Nous confondons aujourd’hui ce qui se vend bien avec ce que les gens ont envie de vivre. Le modèle de voyage dominant récompense l’échelle, la simplicité et la prévisibilité. Vols charters, rotations fixes, resorts qui regroupent tout dans un seul produit. La Turquie en est devenue un exemple d’école. Antalya, Belek, Side. Parfaitement organisé. Opérationnellement efficace. Commercialement logique.

Mais la Cappadoce ne s’inscrit pas dans ce modèle. Elle demande des explications. Du timing. De la flexibilité. Des combinaisons. Une autre logistique. Elle dépend des conditions météo, est moins facilement scalable et plus difficile à automatiser. C’est précisément pour cela qu’elle trouvait autrefois sa place dans un paysage composé de plus petits opérateurs, d’une offre plus diversifiée et d’un rôle plus fort du conseil.

Le paradoxe est frappant. Une destination peut être plus pertinente que jamais à l’échelle mondiale, tout en passant à l’arrière-plan de l’offre belge.

Et cette histoire touche aussi au rôle de l’agent de voyage.

Autrefois, l’agent de voyage était un bâtisseur d’itinéraires. Quelqu’un qui expliquait comment une destination s’articulait. Comment combiner Istanbul et la Cappadoce. Combien de nuits prévoir. Ce qui était logique, et ce qui ne l’était pas. Les circuits étaient par excellence le terrain où l’expertise devenait visible.

Aujourd’hui, ce rôle a évolué. La conversation porte plus souvent sur la comparaison que sur la construction. Sur quel hôtel, quel concept, quel label. L’agent de voyage sélectionne à l’intérieur d’un cadre prédéfini, plutôt que de contribuer à dessiner ce cadre. Ce n’est pas un jugement de valeur, mais la conséquence logique du modèle produit devenu dominant.

La Cappadoce est, par excellence, une destination qui demande du conseil. Qu’elle disparaisse de l’arrière-plan n’est donc pas seulement un choix commercial, mais aussi le symptôme d’un paysage du conseil appauvri.

La question intéressante n’est donc pas de savoir si le Belge a perdu sa curiosité. Cette idée est démentie par les flux de visiteurs internationaux, les réseaux sociaux et les comportements de voyage individuels. La vraie question est de savoir si notre système de voyage facilite encore suffisamment cette curiosité aujourd’hui.

La Turquie illustre cette tension de manière très claire. D’un côté, un modèle de resorts extrêmement performant. De l’autre, une région culturelle qui suscite l’admiration dans le monde entier, mais qui devient de moins en moins visible dans le canal de masse.

La Cappadoce n’a pas disparu de l’intérêt du Belge. Elle a disparu d’un modèle de voyage qui commençait autrefois par la découverte et se terminait à la mer — et qui fonctionne aujourd’hui exactement à l’inverse.

Je comprends l’appel de Yasir : « Cher agent de voyage, n’oubliez pas de proposer la Cappadoce à vos clients. » Il a raison. Cet endroit est trop beau pour être laissé de côté.

13-12-25 - par Pieter Weymans