La création d’un monstre
Black Friday
Oui, c’est Black Friday. La grande messe annuelle des réductions : le moment où les consommateurs se ruent massivement — mais seulement après avoir volontairement mis leurs achats en pause pendant plusieurs semaines. Car c’est exactement ce qui se produit : de plus en plus d’acheteurs retardent consciemment leurs dépenses, dans l’attente de l’explosion des promotions de fin novembre.
Plusieurs études corroborent ce comportement. Il n’y a pas là de causalité formelle, mais des signes manifestes : des ventes en berne dans les semaines précédant l’événement, des volumes du commerce de détail en recul, des données de recherche qui se déplacent plusieurs semaines à l’avance vers le terme « Black Friday », et des consommateurs qui déclarent explicitement reporter leur décision d’achat jusqu’à la mise en place des remises. Autrement dit : le système fonctionne. Ou plutôt : il s’enraye.
Car la dynamique est perverse. Les promotions attirent les clients, mais elles appauvrissent en même temps les périodes de vente ordinaires. Les détaillants ressentent la pression d’« agir ». Une offre pré-Black Friday ici, un accès anticipé là. Ne rien faire, c’est disparaître. Participer, c’est enfoncer un peu plus la spirale.
C’est là que réside le véritable risque : le mécanisme s’auto-alimente. Plus les remises sont généreuses cette année, plus les attentes seront élevées l’année suivante. Plus les promotions démarrent tôt, plus vite les consommateurs interrompent leur rythme d’achat habituel. La question n’est plus de savoir si le modèle économique évolue, mais combien de temps nous continuerons à nourrir ce cycle.
Nous avons peut-être créé autre chose qu’un simple temps fort marketing. Peut-être Black Friday est-il devenu un monstre — un monstre qui grandit chaque année, qui dévore une part croissante du chiffre d’affaires des semaines précédentes, et qui contraint les entreprises à pratiquer des coupes toujours plus profondes pour rester visibles.
Le secteur du voyage n’échappe pas à cette mécanique. Nous observons, nous aussi, le report systématique des achats, l’attente programmée des remises et la chasse aux bonnes affaires. L’enjeu est désormais de déterminer où poser la limite. Quand une stimulation devient-elle une dépendance ? Et quelle place reste-t-il pour la valeur, pour la marque et pour un rendement durable ?
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