Le bouc émissaire éternel
les passagers de croisière

La facilité avec laquelle certaines personnes imputent le surtourisme à Venise aux navires de croisière est affligeante. Hier, HLN a publié un article sur le nouveau droit d’entrée pour les touristes d’un jour à Venise. Il n’a fallu que deux commentaires pour que le verdict tombe : « C’est la faute aux bateaux de croisière. » Le message est clair : les passagers de croisière ne rapportent rien, mangent à bord, envahissent la ville en colonnes et repartent sans rien laisser derrière eux, si ce n’est de la foule. Mais cette image ne tient pas la route lorsqu’on regarde les faits.
Les navires de croisière sont grands, lents et photogéniques – donc une cible facile. Pourtant, les passagers de croisière ne représentent qu’une fraction du volume total de visiteurs. En 2024, on en a compté environ 600 000, contre environ 22 millions d’excursionnistes. Cela représente donc à peine 3 % ! (*) Lors des jours de forte affluence, jusqu’à 100 000 visiteurs déambulent dans le centre, dont la majorité ne vient pas d’un navire, mais arrive en train, en bus ou en voiture. L’idée que les escales de croisière sont la cause principale de la marée humaine quotidienne autour du pont du Rialto est donc manifestement fausse.
L’aspect économique est tout aussi important. Les compagnies de croisière paient d’importants droits portuaires, des frais de terminal et des services de remorquage obligatoires – ce qui représente environ 15 à 20 millions d’euros par an. Un passager de croisière dépense en moyenne 57 € lors d’une visite de la ville, ce qui rapporte environ 31 millions d’euros à Venise et à ses habitants. Un touriste d’un jour (par voie terrestre) dépense en moyenne entre 50 et 100 €, donc la différence n’est pas aussi grande qu’on pourrait le penser.
Que les navires de croisière aient un impact, c’est évident. Mais ils ne sont pas au cœur du problème. Ce rôle revient au tourisme d’un jour à faible seuil d’entrée, à la croissance incontrôlée des locations à court terme, et au manque structurel de régulation des flux de visiteurs. Venise ne souffre pas d’un seul coupable, mais d’un système qui a privilégié la quantité au détriment de la qualité de vie – alimenté pendant des années par un flou politique et une réticence à agir.
L’indignation autour du rôle des navires de croisière n’est pas fondée. La ville doit réguler les flux de visiteurs en fonction de leur impact, et non de leur visibilité. Le débat doit donc porter sur les choix et les orientations politiques. Pas sur la recherche d’un bouc émissaire facile.
(*) En 2019, on en comptait encore 1,5 million, mais le nombre a fortement chuté en raison de l’exclusion des navires de croisière à Venise et de la pandémie. En 2027, on prévoit à nouveau 1 million de passagers de croisière, mais ils ne représenteront toujours qu’une fraction du total des visiteurs.
réponses